Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/350

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ne couvent : on remarque même que dans le nombre de ceux qui sont déjà naturalisés, il y en a qui, avec les mêmes soins, font moins d’œufs que dans les endroits d’où ils sont originaires. La dinde qui, dans nos contrées septentrionales, fournit, en deux fois, quinze à vingt œufs, en donne peut-être davantage en Amérique. Ainsi le paon qui, dans nos climats, ne fait qu’une seule ponte composée de cinq à six œufs, en fait deux dans son pays natal, et ces pontes, selon le témoignage de voyageurs dignes de foi, se composent chacune de vingt à trente œufs.

Au reste, le nombre des œufs que fait une poule par chaque ponte, est soumis à une foule de circonstances ; il est plus ou moins considérable à raison de la saison des espèces, de l’âge, du pays, de l’acclimatation, de la qualité et quantité de nourriture, des soins, de la propreté, et de la chaleur qui règne dans le poulailler, etc. Le moindre événement dans la basse-cour, la plus légère variation dans le temps, la moindre contrariété que les femelles éprouvent pendant leur ponte suffisent pour l’interrompre un jour ou deux : il faut prendre garde sur-tout de les effrayer et de les tourmenter.

L’amour de la liberté, cet instinct qui ramène les poules à leur état primitif lorsqu’elles se disposent à remplir les fonctions importantes que la nature leur a confiées, les détermine quelquefois à aller pondre et couver à l’écart ; souvent, quand le temps, est propice et qu’elles ont pu venir à bout de se dérober à la rapine des animaux, elles reviennent comme en triomphe à la basse-cour, à la tête d’une troupe de poussins, toujours plus vigoureux que ceux qui doivent leur existence aux soins combinés d’une couveuse choisie et d’une fille de basse-cour intelligente. Or, cette couvée seroit entièrement perdue pour le cultivateur qui n’auroit pas de coqs, s’il ignoroit le moyen de découvrir le lieu où une poule auroit pondu à son insu ; pour surprendre son secret, on tâte d’abord pour savoir si elle a l’œuf, et, dans ce cas, on lui introduit un peu d’ail dans l’anus ; comme elle est pressée alors de s’en débarrasser, sa marche vers le nid est précipitée ; on la suit et on découvre le nid qu’elle a choisi pour dérober ses œufs aux recherches de la fille de basse-cour.

Un inconvénient pour le fermier qui n’auroit réellement en vue, dans les soins qu’il donne à l’entretien des poules, que le produit exclusif des œufs c’est que souvent la fille de basse-cour, au lieu de lever exactement les œufs deux fois par jour, en laisse exprès quelqu’un de la veille, pour exciter par sa vue la femelle à pondre, ce qui est absolument inutile quand une fois la ponte est commencée ; les poules, comme on sait, ont une propension marquée à se succéder dans le pondoir : elles se disputent à l’envi le nid ; l’une attend que l’autre ait fait son œuf pour la remplacer, et rien ne pourroit les réjouir davantage que d’en voir beaucoup.

Or, en supposant que douze poules se soient succédées dans le même pondoir, et que chacune, pour déposer l’œuf, ait employé à son opération une demi-heure environ, n’est-il pas vrai que le premier œuf pondu aura éprouvé une incubation de six heures environ, temps suffisant pour éveiller la vitalité du germe et déterminer un développement assez frappant pour être sensible à la lumière d’une chandelle et à l’organe du goût ? Cet inconvénient ne seroit nullement à redouter pour les œufs clairs.

Qu’on cesse maintenant d’être étonné si les œufs frais de la même date, pondus par les mêmes espèces de poules, et dans une même basse-cour, présentent tant de différences entr’eux ; si, dans l’incubation, tous les poussins n’ont pas le même succès et la même vigueur ; enfin, si, dans l’application du même procédé de conservation, il s’en trouve dans la masse qui s’altèrent plus promptement et plus fortement ; l’attention de ramasser deux fois le jour, à midi et à cinq heures, les œufs fécondés, et de ne pas les laisser séjourner trop long-temps au pondoir, peut donc exercer une certaine influence sur leur qualité.

Mais, si le cultivateur qui s’adonneroit au commerce des œufs doit se dispenser d’entretenir des coqs dans sa basse-cour, nous ajouterons que celui qui dirigeroit son industrie vers des éducations de volaille pourroit également s’en passer seulement à la seconde ponte, car alors peu importe que les œufs soient fécondés ou non, puisqu’il n’est plus question de les faire couver ; or, les œufs quoique clairs, n’en ayant pas moins de qualité considérés comme aliment, ils se garderoient pour l’hiver avec beaucoup plus de facilité, ce qui augmenteroit nos ressources en ce genre. Il y a toujours trop d’œufs au printemps et en été, mais jamais assez l’hiver. C’est néanmoins dans cette saison qu’ils sont plus nécessaires que dans aucune autre, et se vendent fort cher, vu la nécessité dans laquelle on est d’en jeter des provisions énormes qui se sont gâtées, à cause du principe d’altération