Page:Rugendas - Voyage pittoresque dans le Brésil, fascicule 14, trad Golbéry, 1827.djvu/7

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dans laquelle il vit, assez de dispositions au développement et à l’usage de toutes ses facultés corporelles, et de beaucoup de capacités intellectuelles et de qualités morales. Les dangers dont le menacent les animaux féroces ou des hommes pervers, soit lorsqu’il est dans sa demeure solitaire, soit lorsqu’il voyage ; la distance immense qui le sépare des lieux habités, où l’appellent ses affaires ou ses plaisirs, sont des circonstances qui le forcent à s’appliquer dès sa plus tendre enfance au maniement des armes, à la chasse, à l’équitation et à l’art de dompter les chevaux. Il ne faut donc pas s’étonner que les colons brésiliens soient pour la plupart des hommes résolus, habiles, vigoureux. En général, tel est l’état de la société et des relations civiles, surtout dans les contrées éloignées des principaux sièges du gouvernement, que l’homme isolé est souvent mis dans le cas de se faire droit, de se procurer satisfaction à lui-même, ou de repousser l’attaque dont il est l’objet. Dans ces occasions les esclaves dont il est entouré se chargent volontiers du soutien de sa cause. Il faut ajouter à ces périls l’influence de quelques familles dans certains districts, influence qui date souvent des premiers temps de la colonie, et qui a plus d’une fois paralysé l’action du gouvernement ; soit que quelques familles et leurs adhérens occupent toutes les places d’une province et fassent tourner à leur utilité particulière l’influence des lois ; soit qu’elles s’opposent à force ouverte à l’exécution de ces lois, parce qu’elles comptent sur leurs relations avec la cour ou avec les grands fonctionnaires, sur la lenteur des informations judiciaires et sur la coupable indulgence du gouvernement. Il est vrai que devant une administration plus sévère on voit de jour en jour s’évanouir ce système, qui a quelque rapport avec la féodalité du moyen âge, ou du moins avec la féodalité en décadence ou avec ses commencemens. Aujourd’hui encore on voit dans les provinces éloignées les qualités personnelles et les liaisons de la famille l’emporter de beaucoup sur la position sociale et les droits des fonctionnaires publics. Lorsque les gouverneurs des provinces, les capitâes mores des districts, etc., joignent à leur autorité légale un grand courage individuel, de la sagesse et de la droiture, il leur devient très-facile de faire exécuter et respecter les lois et les ordres du gouvernement ; mais quand ils manquent de ces qualités, la prééminence dans toutes les affaires revient très-souvent à un particulier qui les possède, et qui s’en sert pour gagner la multitude ; il s’en fait alors une clientèle sur laquelle il peut compter. Toute la question est de savoir si cet homme exercera son influence au profit du repos public, ou bien s’il en usera pour le troubler. Cet état de choses a fait naître une classe d’hommes à part, et ces hommes font profession de se faire droit à eux-mêmes dans toutes les occasions. De nombreux exemples nous apprennent que ces valentoês ont souvent commis pendant des années entières les