Page:Rugendas - Voyage pittoresque dans le Brésil, fascicule 8, trad Golbéry, 1827.djvu/4

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quelque chose de semblable. Malheureusement tous les ouvrages de ce genre, ou du moins la plupart d’entre eux, sont exécutés avec fort peu de conscience et avec une négligence égale des traits caractéristiques, tant en ce qui concerne les formes humaines ou les traits du visage, qu’en ce qui regarde la création végétale : on y chercherait aussi infructueusement une bonne physionomie de Nègre qu’un palmier bien fait.

Le commerce des esclaves d’Afrique, celui qui donne aux Nègres, une place dans cet ouvrage, est, sans contredit, l’un des phénomènes les plus importants et le plus mémorables de l’histoire de l’humanité, tant par sa mesure, que par ses conséquences, et plus encore par les résultats qu’on peut se promettre de sa cessation. L’observateur reporte toujours avec un nouvel intérêt ses regards vers ce commerce ; il peut ainsi découvrir dans le passé la liaison des causes avec les effets, il peut en séparer les élémens qui appartiennent au temps présent, afin de calculer pour l’avenir les conséquences possibles de nouveaux développemens progressifs. Ce n’est qu’en apercevant clairement la possibilité d’atteindre à un but et à une destinée plus nobles, qu’il lui devient possible de s’élever au-dessus de la décourageante impression que l’on reçoit des cruelles misères du moment et des infortunes particulières : peut-être celles-ci ne sont-elles nulle part ailleurs plus propres à produire cette impression que dans la traite et l’esclavage d’Afrique et d’Amérique.

Le sort paraît avoir destiné l’Amérique à fournir une suite à l’histoire de l’ancien monde. Mais, quoique sous plusieurs rapports elle commence là où peut-être un jour nous nous arrêterons, elle a conservé dans l’esclavage l’un des principaux élémens de cette barbarie que l’Europe, après des milliers de combats et de révolutions, a enfin anéantie avec effort et qui paraît absolument incompatible avec le degré de civilisation d’où partent, en Amérique, les sociétés politiques. On ne peut nier non plus que l’esclavage ne soit l’un des écueils les plus dangereux de la plupart des États de ce continent : ils ont, au moyen de leur population d’Afrique, introduit chez eux le véritable principe tragique de leur histoire ; c’est là cette teinte noire qu’Aristote veut trouver dans son héros. L’esclavage, le commerce des esclaves, et la question de leur abolition, sont de la plus haute importance par leur influence sur l’agriculture de l’Amérique, sur le prix de ses produits, sur le commerce des Européens non-seulement avec cette partie du monde, mais encore (par suite d’une inévitable réaction) sur leurs relations avec l’Asie ; enfin, ces questions sont importantes encore par l’influence du commerce sur la politique des états de l’Europe, influence toujours croissante dans un siècle qu’on pourrait appeler exclusivement celui