Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/126

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appui défini sur un point défini, il devient nécessaire de construire avec de petites pierres une tour ayant l’apparence d’une colonne ; mais le byzantin peut élever le nombre de supports qu’il juge nécessaires ; il n’a aucune autorisation à solliciter pour la structure de ses colonnes ; aussi doit-il payer par la généreuse substance de ses piliers le peu d’exigence qu’on a montré pour ses murs.

Celui qui construit dans les vallées crayeuses de France et d’Angleterre ne peut être blâmé de pétrir ses lourds piliers avec des pierres brisées et de la chaux, mais les Vénitiens, à qui étaient accessibles les richesses de l’Asie et les carrières de l’Égypte, ne devaient édifier que des colonnes taillées dans une pierre sans défaut.

Et cela encore pour une autre raison : bien que, ainsi que nous l’avons dit, il soit impossible de couvrir de couleur les murs d’un vaste édifice, à moins de diviser la pierre en plateaux, ce système garde toujours une apparence de parcimonie. Le constructeur devra prouver, à sa défense, que ce n’est pas par avarice ou pauvreté, mais bien parce qu’il ne voulait pas faire autrement, qu’il n’a mis sur les murs qu’un mince revêtement. Il chargera les colonnes de relever son honneur, car, si on ne peut évaluer l’épaisseur et, par conséquent, la valeur des feuilles de jaspe et de porphyre incrustées dans les murs, on peut, d’un coup d’œil, mesurer une colonne, estimer le prix que représente la masse de matière dont elle est formée et tout ce qui a dû être sacrifié pour l’amener à sa rondeur parfaite. Les colonnes sont très justement considérées dans les constructions de ce genre, comme le résumé de leur valeur, comme une sorte de trésor pareil aux joyaux et à l’or des vases sacrés. Elles sont, en réalité, de grands bijoux ; on évalue leur bloc de jaspe ou de précieuse serpantine, suivant leur taille et leur éclat, comme on le fait pour une émeraude ou un rubis ; seulement