Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/144

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Que le lecteur s'imprègne de cette idée et en déroule les importants corollaires. Nous autres modernes, nous attachons une sorte de sainteté aux arceaux en pointe et aux toits bombés, parce que nous avons habituellement sous les yeux des fenêtres carrées, et que nous vivons sous des plafonds plats, tandis que nous rencontrons des formes beaucoup plus belles dans les ruines de nos abbayes. Mais, lorsque ces abbayes furent construites, l'arceau pointu était aussi bien employé pour les portes des boutiques que pour celles des cloîtres. Le bandit, tout comme le baron féodal, vivait sous les mêmes toits pointus qui abritaient aussi le moine en prière, non que la voûte pût être considérée comme particulièrement appropriée, soit à l'orgie, soit aux psaumes, mais parce qu'elle était la forme sous laquelle s'édifiait, en ce temps-là, un toit solide.

Nous avons détruit la belle architecture de nos villes pour leur en substituer une autre, dénuée de beauté et de signification, et nous raisonnons sur l'effet étrange que nous produisent les fragments conservés, par bonheur, dans nos églises. Comme si ces églises avaient jamais été destinées à s'élever en grand relief, pour dominer les constructions qui les entouraient ! Comme si l'architecture gothique avait jamais parlé, comme aujourd'hui, une langue sacrée, semblable au latin des moines !

S'ils voulaient réfléchir aux choses qui sont apprises, nombre de gens sauraient qu'il n'en fut pas ainsi, mais ils ne se donnent pas la peine de raisonner sur ce sujet : ils se contentent de dire que le style gothique est spécialement ecclésiastique. Ils ajoutent parfois que la richesse dans les ornements de l'église est une condition de progrès due à l'Eglise romaine. Evidemment tout cela est le produit des temps modernes : notre nouvelle architecture ignorant la beauté que renferme la plus grande partie des