Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/175

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ment bleu et lointain des Alpes, si vous examinez la pierre que vous touchez, vous la verrez barbouillée, couturée d’inscriptions, de noms et de dates, — noms d’habitants de tous les villages de l’Europe, et dates de toutes les années, bonnes ou mauvaises, de cette fin de siècle. Tous ces gens de conditions humbles, Allemands ou Anglais pour la plupart, qui occupent le meilleur de leur temps passé ici, à graver leurs noms inconnus dans ces marbres illustres, à amarrer quelque chose de leur vie éphémère à ces monuments quasi éternels, éprouvent bien un inconscient désir de communier en admiration, à ce moment précis, avec le reste de l’humanité. Ils ont bien le sentiment qu’ils s’ennoblissent en touchant ces pierres, but de tant de pèlerinages, et qu’ils s’honorent en les déshonorant de leurs gribouillages éhontés. Cette visite unique est un éclair de poésie dans leur existence. Ils la raconteront plus d’une fois dans le cottage familial, parmi les travaux de couture, ou dans la bierbrauerei, parmi les pipes, — voyageurs anonymes, rapides flots d’un fleuve qui, en passant dans une ville, reflètent un instant les palais et les cathédrales et plus loin des montagnes, des forêts et toutes les couleurs chatoyantes et diverses posées sur leurs bords, puis s’en vont rejoindre l’océan, la foule, le train-train de chaque jour, — la vie grise et mono-