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LI DIZ DE PUILLE.

Il at non li rois Charles : or li faut des Rollans[1].

    mancier. Ce messager, qui a nom Relan, annonce à Charlemagne que s’il ne veut pas rendre hommage à Agoullant, celui-ci viendra le chercher, avec vii. c. m. Turquiens (sept cent mille Sarrasins), et qu’il ravagera toute la chrétienté, car

    Quanque Alixandre conquit en son aage,
    Viaut-il tenir ; c’est de son éritage.
    L’empereur, comme on le pense bien, reçoit ces paroles avec mépris ; il dit qu’il ira lui-même chercher Agoullant, traite fort généreusement le messager et le comble de présents. Cet usage, solennel alors, est encore de nos jours suivi dans les cours d’Orient ; c’est à lui que nous devons de voir porter tous les ans à notre budget, à cause des cadeaux d’échange qui sont assez considérables, un article ainsi conçu : Frais de présents diplomatiques

    De retour auprès de son maître, le messager rend compte de sa mission. Pendant ce temps Charlemagne, afin d’accomplir sa parole, écrit à tous les princes ses voisins, entre autres à Ogier-le-Danois, à Girart d’Euphraite, duc de bourgogne, etc., les priant de l’aider dans l’expédition qu’il projette, et leur faisant entendre que s’ils le laissent sans secours et qu’il soit vaincu par les Sarrasins, eux-mêmes ne tarderont pas à être subjugués. Cette idée, qui renferme le motif de toutes les croisades, obtient beaucoup de succès, et les princes auxquels Charlemagne s’adresse ne demandent pas mieux que de combattre les infidèles. Ils viennent en personne joindre l’empereur, et aussitôt que l’armée est réunie elle se dirige vers Aspremont, qu’elle assiège. Là de grands combats ont lieu. Roland, qui est jeune encore, se fait adouber chevalier par l’empereur son oncle : on lui ceint pour la première fois Durandart, cette épée, la plus belle et la meillure d’oevre qui oncques fust, selon la chronique de Turpin, et le héros ouvre la carrière de ses exploits en tuant Hyaumont, fils cadet d’Agoullant, dont celui-ci, dans son audacieux message, avait dit à Charlemagne qu’il ferait un roi de Rome.

    Enfin les troupes d’Agoullant sont vaincues ; lui-même est sur le point de périr quand le duc Clares, touché de pitié, lui offre de racheter sa vie en se faisant baptiser : Agoullant refuse, et, armé d’une hache, s’élance sur son ennemi, qu’il frappe violemment ; mais le coup, mal ajusté, ne brise que l’écu de Clares et ne tue que son cheval. Le duc, irrité, n’écoute plus alors que sa colère : il se précipite sur Agoullant et le perce de son épée. Telle est à peu près l’histoire d’Yaumons et d’Agoullant, à laquelle Rutebeuf fait allusion.

  1. Cette pensée est exactement la même que la suivante, qui termine un sonnet où Scévole de Sainte-Marthe parle du poëte Desportes :
    Il paroît bien qu’alors que ce poëte écrivoit