Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
426
NOTES

la montagne ; on poursuit, on enregistre le chevrier errant aux corniches des rocs, entre les laves et les neiges.

« Tâchons de démêler la plainte de la Sicile à travers cette forêt de barbarismes et de solécismes par laquelle écume et se précipite la torrentueuse éloquence de Barthélemi de Néocastro : « Que dire de leurs inventions inouïes, de leurs décrets sur les forêts, de l’absurde interdiction du rivage, de l’exagération inconcevable du produit des troupeaux ? Lorsque tout périssait de la langueur sous les lourdes chaleurs de l’automne, n’importe, l’année était toujours bonne, la moisson abondante… il frappait tout à coup une monnaie d’argent pur, et pour un denier sicilien s’en faisait payer trente… Nous avions cru recevoir un roi du Père des pères, nous avions reçu l’Antechrist. »

« Il fallait, dit un autre, représenter chaque troupeau au bout de l’an, et en outre, plus de petits que le troupeau n’en pouvait produire. Les pauvres laboureurs pleuraient ; c’était une terreur universelle chez les bouviers, les chevriers, chez tous les pasteurs. On les rendait responsables de leurs abeilles, même de l’essaim que le vent emporte ; on leur défendait la chasse, et puis on allait en cachette porter dans leurs huttes des peaux de cerfs ou de daims pour avoir droit de confisquer. Toutes les fois qu’il plaisait au roi de frapper monnaie neuve, on sonnait de la trompe dans toutes les rues, et de porte en porte il fallait livrer l’argent…[1] »

« Voilà le sort de la Sicile depuis tant de siècles. C’est toujours la vache nourrice, épuisée de lait et de sang par un maître étranger. Elle n’a eu d’indépendance, de vie forte que sous ses tyrans, les Denys, les Gélon ; eux seuls la rendirent formidable au dehors. Depuis, toujours esclave. C’est chez elle que se sont décidées toutes les grandes querelles du monde antique : Athènes et Syracuse, la Grèce et Carthage, Carthage et Rome ; enfin les guerres civiles. Toutes ces batailles solennelles du genre humain ont été combattues en vue de l’Etna, comme un jugement de Dieu

  1. Nic. Specialis, apud Muratori.