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COMPLAINTE AU ROI DE NAVARRE.

De toutes bones teches plains,
Pers aus barons, aus povres peires[1],
Et aus moiens compains et frères ;
Bons en consoil et bien méurs,
Auz armes vistes et séurs,
Si qu’en tout l’ost n’avoit son peir.
Douz foiz le jor faisoit trampeir[2]
Por repaistre les familleuz.
Qui déist qu’il fust orguilleuz
Et il le véist au mangier,
Il se tenist por mensongier.
Sa bataille estoit bone et fors,
Car ces semblanz et ces effors
Donoit aux autres hardiesse.
Onques home de sa jonesse
Ne vit n’uns contenir si bel[3],
En guait, en estour, en cembel.

Qui l’ot en Champagne véu,
En Tunes l’ot desconnéu :
Qu’au besoing connoît-hon preudome ;
Et vos saveiz, ce est la somme,
Qui en pais est en son païs

  1. Je ne puis m’empêcher de faire remarquer ici quelle finesse il y a dans ce jeu de mots entre pers (égal), par, et peires, père ; pater.
  2. Ce mot trampeir, qu’on ne trouve dans aucun glossaire, répond parfaitement à notre terme populaire tremper la soupe. Il est employé quelquefois comme marque de temps. Un de nos anciens chroniqueurs dit, en parlant d’une armée en marche, que de tel endroit à tel autre « les soldats trempèrent vingt soupes. » À deux par jour, je suppose, il est facile de voir tout de suite combien le total offre de journées ; mais ce n’en est pas moins, il faut en convenir, un assez surprenant calendrier.
  3. Contenir si bel, avoir si belle contenance.