Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/42

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Quelle gamme de plaisirs que la gamme de toutes ces couleurs inconnues et si riches ! Quelques-unes unes me blessaient par leur violence, celles — je le sus plus tard — qui correspondent à votre violet et à votre rouge. Mais les autres, si nombreuses, si communément répandues dans la nature, étaient des bonheurs. Il y en avait d’une douceur si pénétrante…

Pour une immodeste violette dont la couleur brutale heurtait mon regard comme un coup, que de pâquerettes charmantes, au cœur sombre (le jaune des hommes était pour moi un écran obscur et joli, une soie noire), aux pétales lumineux. Je ne dis pas : aux pétales blancs. Car votre blanc grossier était aboli, remplacé par une nuance ineffable, une nuance que vous retrouverez peut-être, chrétiens, en votre paradis.

Et combien était adorable la lumière du matin. Qu’elle me fût un éblouissement direct, inondant, ou qu’elle m’arrivât, fine pluie de joie, tamisée par le noir exquis des verdures, elle me pénétrait d’un enchantement si nouveau, si étonné ! L’enchantement de l’aveugle-né qu’on vient d’opérer et qui, enfin, voit.

Je voyais ! je voyais !

Je payais de quelques pertes, mes admirables acquisitions. Mais je n’étais pas encore en état de les compter. Et puis, c’était peu de chose, cette rançon ; j’étais, malgré elle, merveilleusement enrichi.