Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/71

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indivisible de l’espace ne peut être occupé à la fois par deux corps ; le même point indivisible de la pensée, par deux esprits ; ni par deux âmes le même point indivisible du songe ou de l’aspiration. Ah ! les rapprochements ne sont qu’apparences et les victoires sur la distance morale conduisent à l’angoisse véritable. La voici, l’angoisse de se sentir éternellement, irréparablement, deux. L’affirmation de notre unité fut une hyperbole, bienfaisante dans la marche, sans vertu maintenant que nous sommes arrivés au bout et que, hélas I nous savons. Pleurons nos rêves mystiques. Je ne serai pas toi, tu ne seras pas moi : c’est en vain que nous nous sommes trouvés…

Cette angoisse, hommes, vous est donnée par le seul amour, parce que, chez vous, l’amour est le grand effort contre l’invincible isolement, l’effort qui le mieux vous promit la victoire et qui, d’une espérance plus haute, vous fit tomber plus lourdement dans l’inévitable déception. L’être grossier et matériel que j’étais avant la métamorphose ignorait ces chutes, parce qu’il n’avait pas d’ailes pour s’envoler vers l’impossible. Maintenant, des ébauches de souffrance m’avaient affiné, m’avaient préparé à la Souffrance, et j’aspirais à l’amour. L’amour m’était interdit. Mais on se fait des douleurs comme on peut et l’amitié sait créer l’orage irrespirable autour de ceux qui ne peuvent monter plus haut. La grande douleur, c’est toujours notre