Page:Ryner - Les Chrétiens et les Philosophes, 1906.djvu/131

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mers barbares qui montent pour descendre et qui reculent pour avancer.


historicus

Le mouvement de mes paroles incertaines imite peut-être aussi les rythmes alternés de l’histoire. L’histoire, chœur sans coryphée…


serena

Sachant que les femmes sont curieuses et impatientes, tu t’es promis de me mettre en colère. Tu n’y parviendras pas. Mais je me demande si je dois t’écouter plus longtemps.


historicus

Si tu cesses de m’écouter, je cesse de parler.


serena

Je t’écouterai donc, tyran. Mais explique-toi enfin.


historicus

Quand on dit : « L’homme a deux jambes », immédiatement les yeux de mon esprit voient des jambes, qui ne peuvent être à la fois longues et courtes, minces et grosses. Mais ce que je vois est tel que les supports du Petit Carnéade ou tel que mes échasses ou différent des pattes d’éléphant de l’académicien et de mes pattes d’ibis. Ainsi je vois les jambes d’un homme, de quelques hommes, si vous voulez ; je ne vois pas, je ne puis pas voir les jambes de tous les hommes. Votre prétendue vérité ment avec presque autant de bouches qu’il y a d’hommes, qu’il y en a eu et qu’il y en aura. Toute prétendue vérité générale est un bruit imprécis par lui-même, aussi dénué de signification que le grondement du Tibre. Mais mon esprit veut saisir du réel et il transforme le mot général en une image particulière, vérité entourée du bourdonnement de mille mensonges.


arrien

Il n’y a pourtant de science que du général.