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J’ignore le nom qu’on me donnait avant ma naissance et, puisqu’il est Serenus, je suis Serena. »


arrien

Ô Serenus, qu’as-tu dit au préteur ?


serenus

J’ai dit : « Partout tu es exilé dans l’erreur et dans la douleur, toi qui n’as pas compris Épicure. Partout ma présence suffit à dresser autour de moi le temple serein de la vérité et de la joie. »


serena

Est-ce tout ce que tu as dit ?


serenus

J’ai dit encore : « Partout j’aimerai Serena et partout Serena m’aimera. » Mais le magistrat a ricané, dans l’espoir d’être cruel : « Si César vous séparait ?.. » J’ai répondu : « Ni César, ni aucune force des hommes ou de la nature ne peut séparer nos pensées. L’amour rend présents les absents et permet de baiser les lèvres lointaines. — Et si César la faisait mourir ? a miaulé le tigre revêtu de la prétexte. — Je penserais toujours à elle et sa dernière pensée serait un sourire vers moi. » Quand les pensées d’un magistrat ne sont point faites de sang, elles sont faites de boue ; il a repris : « Mais si, l’enfermant en quelque maison publique, il la livrait aux soldats ?.. — Semblable aux plus nobles vies d’aujourd’hui, elle serait une prostituée apparente. Mais son corps seul supporterait des indignités. Son esprit planerait, libre, assez haut pour rester avec moi. Ou peut-être elle se tuerait en appelant mon nom. Cependant je me tuerais en appelant son nom. Et ce serait deux morts plus heureuses que les vies réunies de tous les Césars. »


épictète

Ô jeune homme, tu as parlé noblement. Tu as montré une fois de plus qu’Épicure est la sœur de Zenon.