Page:Ryner - Les Esclaves, 1925.djvu/11

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chaque coup de fouet. Tu portes sur ton dos des marques d’amour dont tu peux être fier.

Géta. — Fier et honteux. L’heure viendra où je lui rendrai sa haine et son amour, les voluptés de ma gloire et de mon avilissement.

Sostrata. — Par quel moyen ?

Géta. — Mon impatience est un tigre qui guette. Demain peut-être, Emilia me dira : « Aime-moi ! » Parce qu’elle est la plus belle des femmes, ah ! comme je l’aimerai. Mais, parce qu’elle m’a fait fouetter, au moment où ses yeux seront, sur le rire de sa bouche, deux autres rires, avec quelle joie le l’étranglerai.

Sostrata. — Tu veux donc pendre, fruit douloureux, à l’arbre infâme de la croix ?

Géta. — Que m’importe ? J’aurai goûté, en une heure trop pleine, tous les bonheurs. Celle que je hais et que j’aime, celle qui est toute ma pensée déchirée et toute ma vie multiple, sera descendue au royaume de Pluton. J’irai la rejoindre, ivre de volupté comme le plus chancelant des hommes, ivre de vengeance comme le plus implacable des dieux.

Stalagmus (resté pensif depuis quelques instants). — Ce qui fait ma colère depuis que je suis un homme et ce qui fait, depuis que j’ose penser, ma honte, ce n’est pas que je sois esclave, c’est qu’il y ait des esclaves.

Sostrata. — Pourtant, lorsque le maître est bon…

Stalagmus. — Bon ou méchant, par cela seul qu’il est le maître, il mérite la mort.

Sostrata. — Non. Si Eudoxe échappait à l’empire d’Emilia ; si, comme autrefois, il nous traitait avec douceur…

Géta. — Je ne le haïrais pas moins, puisque je resterais son esclave.

Stalagmus. — Moi, je me haïrais moi-même, si j’étais un maître.

Tyndare. — Folie !

Stalagmus. — L’injustice serait-elle moindre, si je devenais le maître et Eudoxe un de vos compagnons ?

Tyndare. — Moi, je voudrais bien être le maître.

Palinurus. — Moi aussi.