Page:Ryner - Les Esclaves, 1925.djvu/21

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Eudoxe (feignant de ne pas entendre). — Emilia me vole le bien auquel je tiens par-dessus tous les autres. Non seulement à des hommes libres, mais encore, sans doute, à quelques-uns d’entre vous, elle donne une part de ces baisers qu’elle me doit tous. Pauvre esclave de Cupidon, j’ai besoin de plus en plus servilement de son baiser sali.

Agnès (faisant un pas vers Eudoxe). — Crois à Jésus de Nazareth. Crois au Libérateur qui brise toutes les chaînes. Il calme les passions, il guérit les fièvres, il dissipe les terreurs et les ténèbres, il brise l’aiguillon de la mort.

Eudoxe. — J’ai étudié la doctrine de Jésus de Nazareth. Car je suis curieux des doctrines. Mais mon ennui, qui a soif de toutes les initiations, ne se satisfait à aucune.

Agnès. — La doctrine de Jésus de Nazareth ne ressemble pas aux autres doctrines. Elle est la source d’eau vive…

Eudoxe (haussant les épaules). — Ton Jésus de Nazareth fut, plus que moi, esclave de Cupidon.

Agnès. — Folie et blasphème !

Eudoxe. — Il aima tous les hommes - quel amour absurde et sans beauté ! — jusqu’à mourir pour eux. C’est du moins ce que racontent tes frères.

Agnès. — C’est la vérité… Comprends donc…

Eudoxe. — Et ceux qui confessent le Galiléen meurent pour le glorifier. Je ne mourrais certes pas pour la gloire d’Emilia. Je suis moins esclave qu’un chrétien.

Agnès. — Où trouver la liberté, sinon dans les noblesses de l’amour ?

Eudoxe (à Stalagmus). — Toi, console-toi, si tu n’échappes pas à un joug qui pèse sur tous les hommes.

Stalagmus. — Il y a des esclaves que je plains. Mais tu es l’esclave volontaire que je méprise. Comparé à toi, ah ! comme je me sens libre.

Eudoxe (souriant). — Pauvre esprit sans équilibre et qui vas d’un extrême à l’autre ! Dès que le maître bienveillant s’avoue ton égal, voilà que tu te prétends supérieur à lui !

Stalagmus. — Emilia m’est indifférente.

Eudoxe. — Je crois bien ! A ton âge !…