Page:Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, série 2, tome 6.djvu/213

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doctrine de Condillac et de J.-B. Say, voilà précisément ce qui n’a pas lieu. Ici encore les faits sont sous nos yeux. Nous n’avons autre chose à faire qu’à observer et à conclure.

Et d’abord il n’est pas vrai que la valeur soit la suite nécessaire, la conséquence inévitable de l’utilité. Il y a beaucoup de choses utiles, et très utiles, qui ne valent rien. Ainsi, l’air respirable, la lumière du soleil, l’eau commune, sont des choses utiles, très utiles même, très nécessaires, et cependant ces choses-là n’ont aucune valeur d’échange ; elles ne sauraient faire l’objet de la vente ou de l’achat. C’est ainsi du moins, que les choses se passent généralement et dans le plus grand nombre de cas. Si les choses que je viens d’énumérer obtiennent quelquefois une valeur d’échange, ce n’est évidemment que dans quelques circonstances extraordinaires, et tout à fait exceptionnelles.

Il ne faut pas croire, du reste, que cette objection ait échappé à Condillac ou à J.-B. Say, et il est curieux de comparer les efforts qu’ils ont faits pour la résoudre. Condillac prétend que, partout où il y a de l’utilité, il y a de la valeur échangeable, et il s’évertue à prouver que l’eau commune, l’air respirable et la lumière du soleil ont une valeur d’échange. Cependant, comme Condillac n’a jamais vu personne s’en aller au marché, pour y faire sa provision d’air ou de lumière, et donner de l’or, de l’argent ou de toute autre marchandise, pour se procurer ces divers objets, il faut qu’il cherche à démontrer que, malgré les apparences, ces biens nous coûtent quelque chose ; et ici il se fonde sur une observation fort juste en elle-même, et que je suis très loin de contester, mais qui n’a certainement pas la portée qu’il lui attribue. « Quoiqu’on ne donne point d’argent pour se procurer une chose, dit Condillac, elle coûte, si elle coûte un travail. » Soit. Voilà donc Condillac affirmant que, lorsque nous sommes loin de la rivière, l’eau nous coûte l’action de l’aller chercher, et que, lorsque nous sommes sur le bord de