Aller au contenu

Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée




MARIE KRYSINSKA




Marie Krysinska fut en son temps — le beau temps où Rodolphe Salis triomphait à Montmartre — une manière de révolutionnaire littéraire. Elle publiait alors dans le Chat Noir et dans la Vie Moderne des vers qui, en vérité, pour tout vers qu’ils fussent n’en étaient pas moin » tenus pour de la simple prose par beaucoup de gens. Quand je dis de 1* « simple prose », j’exagère, les vers de Mme Krysinska s’apparentant bien plutôt à de la prose très compliquée. Aujourd’hui qu’a sévi le symbolisme, aujourd’hui que quelques-uns des adeptes de cette école proclamée « décadente » se sont imposés et nous ont donné de bellee œuvres, les innovations de Mario Krysinska noua trouvent moins étonnés, plus disposés à les comprendre et, de fait, ses petits jwèmes sans rimes, à peine assonances, d’un rythme assez peu sensible, nous paraissent curieux, ingénieux et non sans grâce. On comprend toutefois qu’à l’origine du mouvement verlibriste et symbolique, ces poésies aient pu sem bler incompréhensibles et sans doute aussi incohérentes. Ce reproche d’incohérence, MM. Jean Moréas, Henri de Régnier, Gustave Kahn, Stéphane Mallarmé… bien d’autres encore, ne se le sont-ils point vu d’ailleurs lancer à la tête ! Au surplus, le principal mérite du travail prosodique de Mme Krisynska est d’avoir paru tout au début des premiers effortâ des poètes symbolistes. MM, J.-H. Rosny ont raison d’écrire : « Ce travail vint à son heure : pour le juger, il faut qu’on se replace en 1882-83, époque où il innovait ».

Bien que Marie Krysinska tînt beaucoup à situer son œuvre, pour qu’on ne l’accusât point d’avoir imité personne, le contraire lui paraissant la vérité l elle entendait rester indépendante et ne voulait être d’aucune école. Elle estimait « qu’un artiste ne vaut que par la miette de sa personnalité propre ».

Au fait, ce mot de « miette » lui convient â merveille, car, c’est de miettes toute* menues qu’est faite son originalité, son ^êle talent, sa personnahté naïve et compliquée.

Son idéal littéraire, eUe nous l’a confessé dans la préface d’un de ses recueils ; elle veut « atteindre au plus de beauté expressive possible, par le moyen lyrique, subordonnant le cadre aux exigences imprévues de l’image, et rechercher assidûment la surprise de style comme dans la libre prose avec, de plus, le souci d’un rythme particulier qui doit déterminer le caractère poétique déjà établi par le to7i ou pour mieux dire le diapason ÉLEVÉ du langage ».

Plus tard, M. Jean Moréas écrira lui-même : «… Ce dont nous voulons enchanter le ythme, c’est la divine surprise toujours neuve ! »

Que Marie Krysinska soit la grande inspiratrice du mouvement symboliste et verlibriste, on ne l’assurerait pas sans exagérer ; du moins,