Aller au contenu

Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.




ANDRÉ CORTHIS




Mlle Andrée Husson, en littérature André Corthis, est née à Paris, le 15 avril 1885. Ses débuts ont été des plus heureux. Lorsque parut son volume de vers Gemmes et Moires, au mois de juin 1906, elle était inconnue ; six mois plus tard toutes les revues illustrées publiaient son portrait, tous les journaux imprimaient son nom. C’est que Mlle André Corthis venait d’obtenir le prix de cinq mille francs que décerne chaque année le jury féminin institué par la direction du grand magazine mondain : la Vie Heureuse. Ainsi fut désigné à l’attention des lettrés et du public le livre de Mlle Corthis. De toutes parts on s’accorda pour reconnaître le talent — peut-être pas encore entièrement dégagé des influences de certains maîtres : Baudelaire, H. de Régnier, Verlaine surtout, — mais déjà singulièrement fort et souple de la nouvelle poétesse.

A un journaliste qui fut l’interviewer et lui demanda comment elle avait songé à écrire des poésies, elle répondit :

— Comment m’est venue l’idée de faire des vers ? — Je ne saurais le dire. Enfant, j’alignais des rimes pour m’amuser, d’instinct, je composai à douze ans des poésies. Je ne doutais de rien, vous le voyez ! — Et puis j’ai lu beaucoup, j’ai vécu dans l’intimité des grands poètes. J’ai admiré avec eux la nature et la beauté, j’ai partagé leur tristesse, j’ai pleuré leurs deuils. Et j’ai laissé mes émotions, ma fantaisie se graver en strophes, qui finirent par plaire et que l’on jugea, un jour, dignes de l’impression ». D’autre part, Mlle Corthis, sincère et modeste, m’avoue qu’elle n’a point un idéal bien défini, si ce n’est de traiter du mieux qu’elle peut, en vers ou en prose, les sujets qui lui viennent à l’esprit. Quant à son esthétique personnelle, « elle a, dit-elle, très fort changé depuis que j’ai commencé à me soucier d’elle et je ne pense pas qu’elle ait encore rien de bien définitif. »

Il est probable, en effet, que Mlle André Corthis dégagera sa personnalité dans ses prochains livres plus nettement qu’elle ne le fit dans son premier recueil, cependant, et malgré les réminiscences fatales chez un débutant qui a « vécu dans l’intimité des grands poètes » il y a déjà une réelle originalité dans les meilleures pièces de Gemmes et Moires. Et tout d’abord, l’inspiration forte et sage de Mlle Corthis diffère bien franchement de l’inspiration désordonnément lyrique du plus grand nombre des poétesses contemporaines. Elle est raffinée, inquiète, mélancolique et moderne, très moderne, dans le sentiment comme dans l’expression. — « Si j’ai bien compris ou bien deviné cette jeune âme que je découvrais ou que je croyais découvrir entre les pages de son livre, comme on devine à son petit bruit une source cachée, — écrit joliment M. Henri Chantavoine, — il m’a semblé que c’était une âme un peu subtile et nostalgique, mais tendre, artiste et chrétienne. Ce sont, à mon gré, les cinq nuances, les cinq, aspects de cette nature de poète qui en est encore à ses premières émotions, cinq cordes de cette jeune lyre très féminine, de cette petite harpe suspendue au vent des jours, et que chaque frisson de l’heure qui passe fait chanter ou pleurer alternativement. »