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le régime immuable des castes de l’Inde, tel qu’il s’est conservé jusqu’à présent[1].

En même temps, comme on l’a justement remarqué, la division du travail social devient de plus en plus grande. Qu’il s’agisse de fonctions administratives ou de fonctions politiques, la spécialisation s’accentue de plus en plus. Sans cesse, il se crée de nouveaux métiers, de nouvelles industries ou commerces accessoires, et ce phénomène a d’ailleurs pour effet, comme l’a remarqué Bernstein, de retarder la concentration économique[2].

Voilà pourquoi l’artisanat n’est pas près de disparaître. Pour grands qu’aient été les progrès du capitalisme, son triomphe n’est pas aussi complet que se l’imaginait Karl Marx. Bien des traits de l’ancienne organisation du travail subsistent, même dans les pays où l’évolution capitaliste est le plus avancée.

Telle est l’une des réserves à faire à la philosophie marxiste. L’étude des faits nous en révèle d’autres. Si la conscience plus nette de ses intérêts collectifs est, pour une bonne part, chez la classe ouvrière, la conséquence de la concentration industrielle, elle ne s’est affirmée ni aussi rapidement, ni aussi complètement que l’assure la doctrine marxiste. Ainsi, en Angleterre, dès 1839, les trade unions se désintéressèrent du mouvement chartiste[3]. Un militant le constatait :

« Le chartisme ne peut obtenir l’unanimité que dans les rangs des ouvriers les plus mal payés. Les hommes qui gagnent 30 shillings par semaine ne se préoccupent pas de ceux qui en gagnent 15, et ceux-ci se soucient aussi peu de ceux qui en gagnent 5 ou 6. Il y a une aristocratie parmi les travailleurs, comme il y en a une dans le monde bourgeois. »

  1. Voy. C. Bouglé, Essai sur le régime des castes, Paris, 1908.
  2. Voy. C. Bouglé, Revue générale des théories récentes relatives à la division du travail (Année sociologique, 6e année, 1901-1902, pp. 73-133) ; Dechesne, La spécialisation (Revue d’économie politique, an. 1899).
  3. É. Halévy, ouv. cité, t. III, p, 306.