Page:Ségur - Les Bons Enfants, édition 1893.djvu/241

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— Un jour donc, c’est-à-dire un soir, nous regardions le cuisinier verser de la liqueur de cassis dans des bouteilles ; il y en avait beaucoup. Quand il eut tout versé, il lui restait tous les grains de cassis. Je lui dis :

« Qu’allez-vous faire de tous ces grains, Luche ? Si vous nous en donniez ?

— Oh non ! monsieur Pierre ; cela vous ferait mal : c’est d’une force terrible, à présent que c’est imbibé d’eau-de-vie ; ce n’est plus bon qu’à jeter. »

Et Luche versa ce que contenait le bocal dans une terrine, qu’il mit par terre dehors.

Pendant que Luche bouchait ses bouteilles, un cochon de la ferme vint voir s’il trouverait quelque chose à manger ; il voit la terrine, s’approche, met dedans son gros nez pour savoir ce que c’est, renifle, trouve que cela sent bon, en goûte un peu, le trouve excellent, et mange, mange si vite et si bien, qu’en deux minutes il mange tout. Nous appelons Luche.

« Tenez, Luche, le cochon vous a mangé tout votre cassis.

— Ah ! le vilain gourmand ! dit Luche. Pourvu que ça ne lui fasse pas de mal ! Allons, va-t’en ! » lui dit Luche en le chassant du pied.

Le cochon fait un pas de côté et chancelle ; il va à droite, il va à gauche, il saute, il se roule, il a l’air de danser. Il fait de si drôles de choses que nous nous mettons à rire, que Luche rit ; il appelle toute la maison pour voir un cochon ivre ; les do-