Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/177

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ou le buisson que je choisissais pour passer ma nuit ; nous causions alors sans parler. Nous autres animaux, nous ne prononçons pas des paroles comme les hommes, mais nous nous comprenons par des clignements d’yeux, des mouvements de tête, d’oreilles, de la queue, et nous causons entre nous tout comme les hommes.

Un soir, je le vis arriver triste et abattu.

« Mon ami, me dit-il, je crains de ne plus pouvoir à l’avenir t’apporter une partie de mon pain ; les maîtres ont décidé que j’étais assez grand pour être attaché toute la journée, qu’on ne me lâcherait qu’à la nuit. De plus, la maîtresse a grondé les enfants de ce qu’ils me donnaient trop de pain ; elle leur a défendu de me rien donner à l’avenir, parce qu’elle voulait me nourrir elle-même, et peu, pour me rendre bon chien de garde.

— Mon bon Médor, lui dis-je, si c’est le pain que tu m’apportes qui te tourmente, rassure-toi, je n’en ai plus besoin ; j’ai découvert ce matin un trou dans le mur du hangar à foin ; j’en ai déjà tiré un peu, et je pourrai facilement en manger tous les jours.

— En vérité ! s’écria Médor, je suis heureux de ce que tu me dis ; mais j’avais pourtant un grand plaisir à partager mon pain avec toi. Et puis, être attaché tout le jour, ne plus venir te voir, c’est triste. »

Nous causâmes encore quelque temps, il me quitta fort tard.