Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/88

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des amis. André me suivit ; Jeannot me prit par les oreilles et me fit tourner la tête, croyant que je ne voyais pas l’avoine. Je ne bougeai pas davantage malgré l’envie que j’avais d’y goûter. Jeannot commença à me tirer, André à me pousser, et moi je mis à braire de ma plus belle voix. La mère Tranchet se retourna et vit la manœuvre d’André et de Jeannot.

« Ce n’est pas bien ce que vous faites là, mes garçons. Puisque vous m’avez fait mettre ma pauvre pièce blanche au sac de course, faut pas m’enlever Cadichon. Vous avez peur de lui, à ce qu’il me semble.

André.

Peur ! d’un sale bourri comme ça ? Ah ! pour ça non, nous n’avons pas peur.

Mère Tranchet.

Et pourquoi que vous le tiriez pour l’emmener ?

André.

C’était pour lui donner un picotin.

Mère Tranchet, d’un air moqueur.

C’est différent ! c’est gentil, ça. Versez-lui ça par terre, qu’il mange à son aise. Et moi qui croyais que vous vouliez lui donner un picotin de malice ! Voyez pourtant comme on se trompe. »

André et Jeannot étaient honteux et mécontents, mais ils n’osaient pas le faire voir. Leurs camarades riaient de les voir attrapés ; la mère Tranchet se frottait les mains, et moi j’étais enchanté. Je mangeais mon avoine avec avidité, je