Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/127

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échéant. Mais la guerre, un moment imminente, put être évitée ; l’agitation même produite par la révolution de février s’apaisa peu à peu, sinon dans les esprits, du moins dans la rue. Paris perdit bientôt l’aspect d’un camp, que lui avaient donné tant d’émeutes, et l’armée reprit dans la capitale la place qu’elle avait dû momentanément céder à la garde nationale. Hélion de Villeneuve, trop âgé déjà pour s’engager en temps de paix, retenu d’ailleurs par la santé profondément ébranlée de son père, dut songer à trouver une autre occupation, car l’oisiveté lui était insupportable.

Il entra donc, en 1849, au ministère des affaires étrangères. Mais, quoiqu’il y réussît parfaitement, il n’aima jamais cette carrière, trop paisible et trop renfermée pour ses goûts. L’ennui, ce sentiment d’inquiétude et de malaise qu’éprouvent tous les êtres qui ne sont point dans leur vocation, firent de cette vie sédentaire un danger pour lui. Des liaisons trop nombreuses et trop faciles, et l’abus des plaisirs du monde, agirent également sur lui dans un sens fatal. Peu à peu ses habitudes religieuses, cette grande, cette unique sauvegarde des jeunes gens, allèrent en s’affaiblissant dans sa vie, et laissèrent son âme livrée sans défense à toutes tes tentations du dehors et du dedans.

Que dirai-je de plus ? Il avait évité jusqu’alors tous les pièges qui lui étaient tendus, et Dieu sait si le monde les multipliait sous ses pas ! Il les avait évités par la fuite, par la prière, par la fréquentation des sacrements qui donnent à la faiblesse humaine toute la force de Jésus-Christ. Une fois désarmé, il y succomba, et cette âme si belle, si grande, si pure, restée chaste pendant vingt-trois ans, connut enfin ce que le monde appelle en souriant le plaisir, et ce que l’Église en pleurs appelle te mal ; elle le connut, le subit comme un joug, mais ne