Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intéressés. Sa pensée et son cœur s’élancèrent vers l’Orient, à la suite de nos braves soldats, et dès les premiers préparatifs de guerre, dès le départ de nos premières troupes, dès le premier coup de canon, il sembla, comme le cheval de la Bible, dresser sa tête, frémir d’une ardeur belliqueuse, et, le feu dans les yeux, s’écrier : « Allons ! » Toutes ses idées de guerre, tous ses goûts militaires vinrent l’assiéger jour et nuit, et sa vocation si longtemps refoulée, se dressa devant lui plus ardente et plus entraînante que jamais.

Il chercha d’abord à chasser cette pensée comme une tentation, comme un mauvais rêve ; il tourna ses regards vers sa mère, qui, veuve, et n’ayant pas d’autres fils, trouvait en lui le souvenir vivant de l’époux qu’elle avait perdu, le compagnon de sa vie, l’appui de sa vieillesse prochaine, l’orgueil et la joie de sa famille ! mais la pensée qu’il cherchait à écarter revenait toujours plus forte et plus pressante. Chaque coup de canon tiré en Orient retentissait douloureusement dans son cœur le sentiment de joie que la nouvelle de nos succès, du débarquement inespéré de nos troupes en Crimée, de la victoire de l’Alma, faisait naître dans son cœur, était dominé et comme éteint par son amer regret de ne pas y avoir pris part. Il rougissait en lui-même comme d’une lâcheté, de son inaction et de sa vie tranquille à Paris tandis qu’on se battait en Orient ; il se regardait presque comme un déserteur ou un réfractaire, tant sa vocation était violente, si je puis ainsi parler ; et le sang héroïque qui bouillonnait dans ses veines lui montait du cœur au visage chaque fois qu’on parlait, en sa présence, de celui qui coulait là-bas pour la France et pour l’Église.

Une première fois, au début de la campagne, il avait parlé à sa mère de son ardent désir de s’engager et de par-