Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/143

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adieux était arrivé. Certes, il est toujours pénible de quitter ceux qu’on aime, alors même que l’absence ne doit être ni longue, ni périlleuse, alors qu’on part pour un court et joyeux voyage. Mais, quand on se quitte pour un temps indéterminé ; quand celui qui part va braver des dangers sans nombre ; quand enfin, l’adieu qu’on se dit est peut-être le dernier adieu et l’embrassement du départ, l’embrassement suprême, alors le cœur se brise véritablement et la séparation de deux cœurs qui s’aiment est bien l’image du déchirement de la mort.

Aussi n’essaierai-je pas de rendre les angoisses du fils et de la mère au moment de ce fatal départ, que ne devait suivre aucun retour. À ce moment suprême, l’âme si tendre d’Hélion de Villeneuve fléchit sous le poids de la douleur ; peut-être eut-il un instant de regret, et, quoiqu’il fût trop tard pour reculer, son cœur se serait brisé si sa mère, la mort dans l’âme, mais le courage sur les lèvres et dans les yeux, ne l’eût soutenu et ranimé par sa propre énergie. Elle eut la force de le conduire jusqu’à la gare du chemin de fer de Lyon, jusqu’à la portière de la voiture qui devait l’emmener ; puis, quand le dernier baiser eut été échangé, quand son fils eut disparu à ses yeux avec le convoi qui l’emportait, elle revint seule et baignée de larmes, mais toujours forte et dévouée, consoler sa fille, plus faible et non moins désolée qu’elle-même.


V


Le déchirement de la séparation laissa dans l’âme d’Hélion de Villeneuve une douleur qui le dominait encore quand il arriva à Marseille. Peut-être eut-il pour la pre-