Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/159

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Il demanda du papier, une plume et de l’encre, que l’aumônier lui fit apporter, et il écrivit à sa mère d’une main tremblante, mais d’un cœur ferme, cette lettre suprême, dont la gaieté apparente est un acte admirable d’héroïsme et de dévouement filial :

« Ma bonne mère, j’ai eu une chance du diable ! je viens d’être légèrement touché à la joue, et il en résultera qu’après le mois qu’il me faudra pour guérir je reviendrai tout de suite près de toi : je m’en réjouis bien. La première fois Dampierre t’écrira pour moi. J’ai reçu toutes tes bonnes lettres. Je suis en état de grâce.

» Je t’embrasse de toute mon âme. À bientôt. »

J’ai vu cette lettre, dernier envoi de ce noble fils à sa mère, et qui renfermait le dernier souvenir qu’il dût lui adresser de ce monde. Les mots : « Je suis en état de grâce » sont soulignés. L’écriture est très lisible, mais altérée ; elle devient de plus en plus tremblante à mesure qu’elle approche de la fin, et, soit oubli, soit défaillance, il n’y a pas de signature.

Il fut longtemps à écrire cette lettre, bien courte cependant, et l’abbé G’Stalter, craignant que cet effort ne lui fît mal dans l’état de faiblesse où il était, après tout le sang qu’il avait perdu, l’engagea à se reposer un instant. Mais Hélion lui répondit avec un accent mêlé de tendresse et de mélancolie : « Monsieur l’abbé, on ne se fatigue jamais d’écrire à sa mère. »

Il était alors cinq heures du soir. On apporta au blessé un bouillon, qu’il prit, non sans effort, avec un peu de vin. Puis l’aumônier, rassuré par les affirmations des médecins, lui souhaita un bon sommeil et le laissa heureux et content, presque gai, comme un convalescent qui revient aux espérances de la vie. Hélas ! l’espoir du prêtre et du blessé lui-même était trompeur. Entre minuit