Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/183

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dité ; âme ardente, capable de retenir par l’amour autant que de subjuguer par la doctrine, et à qui rien ne manquait dans le caractère pour assurer la puissance de son esprit. Ajoutez que c’était un cénobite. L’Église l’avait pris au siècle, couvert d’un froc, jeté sur le cilice et la cendre : il avait senti la verge heureuse de l’obéissance, les joies de l’humilité, et ce mélange d’une telle nature avec une forte grâce l’avait merveilleusement préparé pour rendre aux autres tous les dons du ciel, devenus plus grands pour avoir passé par son cœur. Quoi de plus ? un homme de génie, un orateur, un écrivain, un moine, toutes les puissances et toutes les gloires dans cette jeune main ! Laissons-te faire son œuvre.

« Il a uni, messieurs… Mais, où est-ce que je le retrouve ! Non plus au foyer sacré de la tente cénobitique, mais à l’âtre d’une maison vulgaire, les pieds étendus vers un feu domestique, une femme à côté de lui ! Lui ! deux fois consacré vierge par l’onction du sacerdoce et les serments du cloître ! Lui, qui avait été fait Christ par l’Église, et qui n’avait pas trouvé l’Église assez pure pour lui ! Le voilà marié ! Et non pas seul. Sa parole a brisé la porte des vieux couvents de la Germanie ; elle a troublé la chasteté séculaire du vieillard et celle plus pure encore du jeune homme ; elle a tiré de la tombe toutes les convoitises de la chair. Dieu, par la doctrine catholique, n’avait pas seulement élevé ses prêtres à la continence absolue ; il en avait inspiré le goût et fait le don à mille autres. Il avait préparé pour chaque misère du monde une virginité qui devait en être la mère et la sœur : cet homme a tout détruit. Il a desséché le sacerdoce dans sa racine même, en lui ôtant les stigmates de Jésus-Christ, qu’il doit, par la chasteté, porter dans sa chair crucifiée. Il a rendu au siècle les âmes privilégiées que l’Évangile lui avait ravies, dépeuplé