Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/187

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ne voulait quitter son mari qu’après l’avoir vu pendre, Bucer lui écrivit : « Servet méritait d’avoir les entrailles arrachées et déchirées. Et le doux Mélanchton : « Révérend personnage et mon très cher frère, je rends grâces au Fils de Dieu, qui a été le spectateur et le juge de votre combat, et qui en sera le rémunérateur : l’Église aussi vous en devra sa gratitude, à maintenant et à la postérité. Je suis entièrement de votre avis, et je tiens pour certain que, les choses ayant été dans l’ordre, vos magistrats ont agi selon le droit et la justice en faisant mourir ce blasphémateur. »

Le meurtre de Servet a donc été prémédité, préparé, conseillé ou applaudi par les complices de la Réforme, et froidement consommé par Calvin, qui ne s’en repentit même pas, car il écrivit un livre pour justifier le supplice de ce malheureux et pour établir que c’est un devoir de conscience de mettre à mort les hérétiques, au nombre desquels les catholiques devaient naturellement figurer en première ligne.

Cet acte de froide barbarie et de suprême intolérance n’a pas été isolé dans la vie de Calvin et dans l’histoire de la Réforme à Genève. Le poète Gruet fut mis à mort et décapité pour avoir dit du mal de Calvin. Bolsec, médecin apostat et réfugié lyonnais, fut banni à perpétuité de la ville pour la même raison. Daniel Berthelier, maître de la monnaie à Genève, fut soumis à des tortures effroyables et décapité par la main du bourreau. Le conseil inquisitorial établi à Genève par Calvin pour veiller à la pureté de la foi et des mœurs publiques, signalait par ses exploits son zèle et sa charité chrétienne ; il épiait, il poursuivait, il condamnait, bannissait, brûlait impitoyablement ; et l’on s’étonne vraiment qu’après de pareilles origines les protestants aient eu l’audace et se croient encore le droit de jeter à la face de l’Église catholique les souvenirs