Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/194

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ciences qu’on achète pour de l’argent, et tous ces efforts qui aboutissent, hélas ! non pas à faire des protestant convaincus et chrétiens, mais à défaire des catholiques et à perdre les âmes ! Ah ! le grand malheur des pauvres hérétiques, de ceux mêmes qui sont bons et de bonne foi, et, grâce à Dieu, il y en a beaucoup, c’est que, trop souvent, par les préjuges mêmes de leur erreur, ils méconnaissent, ils détestent, ils combattent l’Église, ils entravent son œuvre de régénération sociale et de salut, ils la poursuivent, sans se l’avouer, jusque dans ses sœurs de Charité et ses frères instituteurs ; ils se font, en un mot, les ennemis passionnés du bien, de la vérité, et ils se rendent ainsi, sans le vouloir peut-être, complices de la perte des peuples et de l’accroissement du mal sur la terre.

Avant de quitter Genève, où j’ai pourtant retenu bien longtemps déjà le lecteur, je ne puis taire les souvenirs de Rousseau et de Voltaire, qu’y rappellent à tous les passants la statue du premier, avec une inscription louangeuse, et le château de Ferney, domaine et demeure du second. Il semble que la Providence de Dieu ait voulu que le souvenir de ces deux hommes fût lié matériellement à celui de Genève, comme il l’est moralement dans l’histoire par la complicité du mal qu’ils ont fait. Tout se tient en effet dans les événements de ce monde, et jamais filiation ne fut plus claire et plus légitime que celle qui fait descendre la Révolution de la philosophie ou plutôt de l’incrédulité du dix-huitième siècle, et celle-ci des principes de la Réforme. Voltaire et Rousseau sont bien les fils de Luther et de Calvin, et ils sont aussi les pères de cet esprit révolutionnaire qui débuta par la Terreur, et qui, de nos jours, mène le monde à l’abîme du socialisme. Tous les deux, avec une puissance peu commune d’esprit et d’intelligence, ont montré au