Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/206

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dilate, et le chemin descend rapide entre deux belles lignes de montagnes. Quand nous arrivâmes à cette heureuse descente, le jour commençait à baisser ; une douce brise s’élevait pleine de fraîcheur et de parfums, et le calme du soir se répandait sur toute la nature. Les rayons du soleil couchant n’éclairaient plus que les hauts sommets et nuançaient de mille teintes d’or, de pourpre et d’opale la neige des montagnes lointaines. Enfin ces derniers reflets s’éteignirent, l’astre du jour disparut dans une vapeur lumineuse ; l’ombre gagna, le silence vint. On n’entendait plus que le son argentin des clochettes pendues au cou des vaches, les mugissements des troupeaux qui désertaient le pâturage et les bêlements plaintifs des chèvres renfermées pour la nuit dans leurs étroites étables. Bientôt ces derniers bruits expirèrent ; nous restâmes seuls au milieu du silence, et pendant quelques instants nous marchâmes dans l’obscurité entre le soleil qui venait de disparaître et les astres de la nuit qui n’avaient point paru encore. Peu à peu les étoiles s’allumèrent au firmament et répandirent une pâle lueur sur les sommets neigeux de la Jung Frau et du mont Gemmhi, qui se dessinaient vaguement à l’horizon. La lune seule, qui était à son dernier quartier, manquait à ce tableau que je ne puis décrire, mais dont je me souviendrai toujours. Ô majesté sereine d’une belle nuit, calme souverain de la nature qui repose, silence inénarrable du soir et de la solitude, avec quelle éloquence vous parlez au cœur de l’homme de la grandeur de Celui qui vous a faits, et de quelles émotions religieuses vous remplissez l’âme de cette créature si petite et si grande que Dieu a tant aimée et pour laquelle il a disposé toute chose !

Martigny, où nous arrivâmes assez tard dans la soirée, n’a rien de remarquable que le grand souvenir historique