Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/208

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il nous donné la vie. Nous ne pouvons vous obéir en renonçant à Dieu, notre créateur, notre maître et le vôtre, quand même vous ne le voudriez pas. Si vous ne nous demandez rien qui l’offense, nous vous obéirons comme nous avons toujours fait ; autrement nous lui obéirons plutôt qu’à vous. Nous avons prêté serment de fidélité à Dieu, avant de vous le prêter à vous-même : vous ne pourriez vous fier au second, si nous manquions au premier. Vous nous commandez de rechercher les Chrétiens pour les punir ; à quoi bon en chercher d’autres ? Nous voici ! nous confessons Dieu le Père et son Fils Jesus-Christ ! Nous avons vu égorger nos compagnons sans les plaindre, nous nous sommes réjouis de l’honneur qu’ils ont eu de souffrir pour Dieu. Ni cette extrémité ni le désespoir ne nous ont portés à la révolte : nous sommes armés et nous ne résistons pas, parce que nous aimons mieux mourir innocents que vivre coupables. »

Sentiments sublimes, admirable réalisation de cette grande parole de l’Évangile, qui a fondé, avec la liberté de l’âme chrétienne, le respect de l’autorité temporelle : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Précepte sacré, que bien des chrétiens oublient trop aujourd’hui, et sur lequel repose cependant le salut des sociétés et des empires. Oui, ces généreux soldats rendent à César leur vie, qui est à César, et ils gardent pour Dieu leur âme, qui n’appartient qu’à Dieu : les plus fermes à la fois et les plus obéissants des hommes ; fidèles à Dieu jusqu’à mourir plutôt que de l’offenser, fidèles à l’empereur jusqu’à mourir plutôt que de se servir de leurs armes contre lui. Maximien les fit égorger par d’autres légions : ils attendaient la mort à genoux, en silence, et tendirent la gorge aux bourreaux. Le sang coula par torrents et les cadavres s’élevèrent amoncelés sur cette terre que leur martyre a consacrée à jamais.