Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/212

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et nous commençâmes à descendre la montagne du côté de l’Italie. Cette route est plus sauvage encore et plus belle d’horreur que celle de la Tête-Noire. On n’aperçoit partout que des gorges étroites et profondes, des rochers noirs, luisants, sillonnés de cascades blanches ou distillant une eau qui tombe lentement le long des pierres et des herbes pendantes, et qui donnent véritablement à ces rochers une apparence vivante et souffrante : vous diriez qu’ils suent et qu’ils pleurent. Au fond du ravin, un torrent verdâtre se fait péniblement un passage au milieu d’énormes blocs de pierre qu’il creuse, sous lesquels il disparaît par moments, et d’où il s’échappe avec un bruit lugubre. Plus on avance, plus le lit du torrent s’enfonce et se rétrécit : on dirait l’entrée des enfers.

Toutes les horreurs de cette nature sauvage accompagnent le voyageur jusqu’à l’entrée de l’Italie et se resserrent de plus en plus autour de lui comme pour le retenir prisonnier. Mais, à partir d’Ysselle, limite des deux pays, la scène change brusquement, et la route débouche bientôt dans la belle et spacieuse vallée de Domodossola, qui est comme le vestibule de l’Italie. Nous traversâmes rapidement cette vallée, poursuivis par la pluie qui nous empêchait d’en jouir, et le soir nous arrivâmes sur les bords du lac Majeur, dans la petite ville de Baveno.

Quand nous nous levâmes le lendemain, nous vîmes avec joie que la pluie de la veille avait fait place à un temps splendide, le soleil étincelait dans un ciel sans nuages. Nous nous hâtâmes de louer une barque pour aller visiter les Îles Borromées. C’était le jeudi 20 août, et c’est avec un sentiment particulier de reconnaissance envers Dieu que je me rappelle cette belle journée où il me fut donné de goûter et d’admirer, plus que je ne l’ai