Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/300

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assez ! » On leur applique ordinairement quinze, vingt, trente coupa de verges avec une cruelle dextérité. Un soldat de garde endormi en reçut cent. Il est vrai qu’on en frappa la moitié sur son gros habit mais il y en avait encore plus qu’il n’en fallait pour lui faire crier miséricorde. Ici, les factionnaires ne changent pas d’heure en heure, comme en France les sentinelles veillent toute la nuit sans être relevées. Force fut bien à moi de faire de même. »

C’est avec cette incroyable liberté d’esprit que le missionnaire observe et décrit les usages des soldats, leur uniforme, les villes qu’il traverse, tout ce qu’il rencontre d’intéressant sur son chemin.

Dès le second jour de son arrestation, on l’enferme dans une cage, comme on a coutume de le faire pour les grands criminels.

« On m’ôta ma cangue, dit-il, et j’entrai dans la cage, dont on lia fortement le dessus. Me voilà donc enfermé comme un loup à la merci de tout le monde. Cependant je vis bientôt que cette cage était préférable à la cangue, qui commençait déjà à peser sur mes épaules, encore inhabiles à la porter. La, du moins, je pouvais m’étendre et me mouvoir sans avoir de fardeau. Enfin, quand la bête fut en cage, ses gardiens, la voyant en sûreté, s’apprivoisèrent… Le colonel me rendit un Christ qui était parmi mes effets saisis et, comme il me demandait ce que j’en ferais « C’est pour le vénérer, lui répondis-je, et pour lui demander la force dont j’ai besoin dans ce moment. »

« Ma marche était, en un sens, fort pompeuse. Environ cent cinquante soldats me précédaient et autant me suivaient avec des mandarins en filets surmontés de dais. Ma cage, portée par huit hommes, et ombragée à l’aide de mon tapis rouge, occupait le milieu. Ce fut ainsi qu’on