Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/64

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remède, désespoir des médecins et horreur de la nature, venait d’éclater en lui avec violence. Aussitôt on l’avait enfermé seul dans un cabinet écarté ; les infirmiers osaient à peine y pénétrer, et n’approchaient de lui que le moins possible et plusieurs à la fois. Les crises de cet infortuné se succédaient presque sans interruption, et, dans ces crises terribles, il s’élançait de son lit, à demi nu, la bouche écumante, et se tordait à terre dans d’affreuses convulsions. Puis, quand la crise était passée, il se jetait à genoux, priait à haute voix d’une manière si touchante, avec des accents si profonds et si résignés, qu’en l’entendant tous les assistants pleuraient à chaudes larmes.

Il demandait avec instance l’aumônier pour se confesser et recevoir l’absolution. Le bon prêtre frémit, mais n’hésita pas un instant : il entra dans le cabinet où gisait le malheureux zouave, et, comme il fallait qu’il fût seul avec le malade pour entendre sa confession, il dit aux infirmiers de se retirer : les infirmiers obéirent en tremblant. Scène terrible que cette de cette confession sans cesse interrompue par les convulsions et les cris du mourant, et pendant laquelle l’infortuné entremêlait de hurlements involontaires l’humble aveu de ses fautes. Il fallut plus d’une fois que le prêtre le retînt dans ses bras pour l’empêcher de s’élancer sur lui et qu’il le replaçât de force dans son lit, comme une bonne mère qui presse sur son cœur l’enfant malade ou révolté qui se débat avec fureur contre son amour.

Enfin le mystère de miséricorde s’accomplit, et le prêtre épuisé sortit de ce triste séjour, laissant le pauvre zouave consolé et pardonné, avec la promesse, qu’il a tenue, de venir le revoir encore. Telle est l’énergie sublime que donne la charité de Jésus-Christ à ceux qui en portent une étincelle dans leur cœur !