Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/67

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promptitude de repentir, à cet entraînement de reconnaissance, que je dois une des joies les plus vraies de ma vie ; si le trait que je vais rapporter est une digression, que le lecteur me le pardonne. Le cœur de nos admirables soldats s’y peint si vivement et avec un naturel si touchant, que nul, j’en suis sûr, après l’avoir lu, n’aura le courage de me le reprocher.

En 1850, j’avais composé un petit volume de contes et de récits pour les militaires, sous le titre de Dimanche des soldats, et j’en avais envoyé quelques exemplaires à ceux que j’avais connus en garnison à Paris. Un d’entre eux, alors à Lille, m’écrivit la lettre suivante, en réponse à l’envoi de ce petit livre ; j’y laisse à dessein les fautes de français, et je la donne telle qu’elle est sortie de la plume et du cœur du soldat et telle qu’elle est tombée sur mon cœur :

« Votre livre m’a fait bien plaisir, et, le soir, il m’est arrivé une circonstance que je vais vous raconter. Dans la chambre où je couche, nous sommes onze soldats, plus un caporal. Le soir donc, à cinq heures, j’ai acheté une chandelle de quinze centimes, j’ai fait un chandelier de ma baïonnette, que j’ai mis à la tête de mon lit ; je me suis couché ; j’ai appelé mes camarades, que j’ai fait asseoir sur les lits à côté du mien ; ils ont tous obéi ; et voilà ce que je leur ai dit – Ô mes bons camarades ! tous les soirs, à Loos, vous me disiez de vous conter des histoires ; eh bien, ce soir, je vais vous en conter ; ceux qui voudront se coucher, je leur donne la permission, mais pas de dormir ! Ils m’ont dit : – Si c’est bien beau, nous ne nous coucherons pas. – Eh bien, leur dis-je, écoutez-bien. J’ai commencé par le Retour au village ; ils m’ont tous écouté avec un profond silence, et, quand j’ai eu fini ce premier chapitre, je leur ai demandé comment ils ont trouvé ça. — Très bien, m’ont-ils dit. Et il a fallu continuer. À la Chemise d’un