Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

signalant point ici, autant qu’il est en moi, ces réformes aussi urgentes, aussi nécessaires que faciles à accomplir, et je m’estimerais mille fois heureux si j’avais pu contribuer par là, d’une manière quelconque, à améliorer, dans l’avenir, le sort de nos braves soldats malades. Ô pauvres feuilles de papier que je remplis, non avec mon imagination, mais avec mes souvenirs et avec mon cœur, que je serais fier de vous et que je vous aimerais d’un amour plus reconnaissant et plus tendre, si, portées par un soufre bienfaisant, vous voliez assez haut pour atteindre ce but !

Je veux terminer ce chapitre, de l’hôpital militaire, par une des histoires les plus touchantes, à mon gré, qu’on puisse entendre : c’est l’histoire d’un humble infirmier dont l’âme est aussi grande que sa condition est modeste. Ce noble jeune homme, né dans un petit village du département de l’Orne, et demeuré orphelin de bonne heure, n’a eu, en quelque sorte, qu’une pensée depuis qu’il est au monde, celle de faire ériger son cher village en paroisse, comme il l’était avant la grande Révolution. Il n’a épargné, dans ce but, ni son temps, ni sa personne, ni son dévouement, et, comme on va le voir, il a poussé ce dévouement jusqu’au plus sublime sacrifice.

Tant qu’il demeura au village natal, il se fit l’auxiliaire, je pourrais presque dire le vicaire du bon curé du voisinage, qui ne pouvait venir que les dimanches et les jours de grande fête célébrer le service divin à l’église de la pauvre paroisse déchue. Avec l’autorité d’une foi ardente et d’une énergie incroyable dans un tout jeune homme, il réunissait devant l’autel les habitants du village pour la prière du soir, leur faisait de pieuses lectures, organisait et dirigeait des exercices religieux pour le mois de Marie, et remplaçait ainsi, autant qu’il était en lui, le pasteur dont l’église était veuve depuis soixante ans.