Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/94

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de toutes les générations. Il y a un homme enfin, et le seul, qui a fondé son amour sur la terre, et cet homme, c’est vous, ô Jésus ! vous qui avez bien voulu me baptiser, m’oindre, me sacrer dans votre amour, et dont le nom seul, en ce moment, ouvre mes entrailles et en arrache cet accent qui me trouble moi-même, et que je ne me connaissais pas ! »

Voilà l’orateur chrétien ! voilà l’éloquence, voilà le cri de la foi et de l’amour poussé par le génie voilà la parole qui a resplendi sur nos têtes et embrasé nos cœurs pendant dix ans ! Ô Conférences, grandes et chères Conférences de Notre Dame, qui avez tenu ma jeunesse captive sous cette parole inspirée, je ne vous oublierai jamais ! Jamais je n’oublierai ces tressaillements qui couraient d’un bout à l’autre de l’immense auditoire, ces émotions qui nous forçaient à nous soulever à demi sur nos bancs où nous retombions comme épuisés d’admiration ! Non ! il n’est point de plaisirs sensuels, il n’est point de passions assouvies, il n’est point de jouissances rassasiées, qui soient comparables à ces joies célestes de l’intelligence chrétienne s’abreuvant, dans un vase d’or pur, de lumière et de vérité !

Ces émotions ne firent que s’accroître quand la révolution de 1848 eut entassé les ruines autour de nous, ruines du trône et de bien des fortunes particulières, que d’autres ruines plus profondes, celles de la société elle-même, semblaient devoir suivre bientôt. Alors la parole de l’homme de Dieu devint plus puissante, plus pénétrante encore ; il semblait que toutes les émotions du dehors étaient passées dans son cœur et qu’elles retombaient sur l’auditoire de tout le poids de son éloquence. Jours terribles à traverser, mais qui laissaient dans l’âme d’ineffables souvenirs ; où l’on sortait des ébranlements