Page:Ségur - Un bon petit diable.djvu/347

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bandon dans ses allures, dans ses paroles ; elle ne retenait plus sa pensée, qu’elle déroula tout entière quand Charles lui reparla de ce qu’elle venait de lui apprendre, et de ses propres impressions sur le projet de sa sœur et sur ceux présumés de Charles. Elle lui avoua que depuis longtemps elle songeait avec terreur au jour où elle le verrait lié par le mariage à un autre devoir et à une autre affection.

« Ce n’est pas de l’égoïsme, Charles, je t’assure ; c’est un sentiment naturel devant la perte d’un bonheur dont j’apprécie toute la valeur et que rien ne peut remplacer. »

Charles fut moins confiant, il lui parla peu de ses pensées intimes ; mais en revanche il lui témoigna une affection plus vive et lui promit encore une fois de ne jamais l’abandonner.

« Ce n’est pas un sacrifice, Juliette, je t’assure ; c’est un sentiment d’instinct naturel pour mon propre bonheur. »

Et Charles disait vrai. Profondément reconnaissant de la métamorphose que Juliette avait opérée en lui par sa douceur, sa patience, sa piété, sa constance, sa vive affection, il s’était promis et il avait promis à Dieu de se dévouer à elle comme elle s’était dévouée à lui. Il vit avec un redoublement de reconnaissance la tendresse toujours croissante que lui portait Juliette ; il comprit qu’elle ne pouvait être heureuse qu’avec lui et par lui ; il comprit que s’il introduisait une femme dans leur intérieur, ce serait leur malheur à tous :