Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/107

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permis qu’il serait pour vous peu sûr de descendre. Vous êtes attaché au faîte des grandeurs par des liens invincibles. Nos démarches à nous ne frappent que bien peu de personnes : nous pouvons sortir, rentrer, sans exciter l’attention publique, tandis qu’il ne vous est pas donné, plus qu’au soleil, de vous dérober aux regards. Autour de vous est une lumière éclatante qui attire tous les yeux. Il vous semble simplement que vous sortez ; non, c’est un astre qui se lève. Vous ne pouvez proférer une parole sans qu’elle soit recueillie par tous les peuples, vous livrer à la colère sans faire trembler le monde, et frapper un seul homme sans ébranler ce qui l’entoure. Comme la foudre, en tombant, n’atteint que peu d’hommes et les fait trembler tous, de même, lorsque le pouvoir suprême exerce ses sévérités, la terreur est plus étendue que le mal ; et ce n’est pas sans motif : ce que l’on considère dans l’homme qui peut tout, ce n’est pas ce qu’il a fait, mais ce qu’il lui est possible de faire.

Il faut ajouter que, dans la condition privée, la patience avec laquelle on supporte les injures expose à en recevoir de nouvelles, tandis que la clémence est la garantie de la sûreté des rois. Comme de fréquentes vengeances n’éteignent que les haines de quelques hommes et irritent celles de tous les autres, il ne faut pas attendre, pour renoncer à la sévérité, qu’elle n’ait plus de motif. De même que les arbres élagués multiplient leurs rameaux, et que l’on coupe certaines plantes pour qu’elles repoussent plus touffues ; de même la cruauté des rois, en frappant quelques-uns de leurs ennemis, ne fait qu’en augmenter le nombre : leurs sentiments se transmettent à leurs pères, à leurs enfans, à leur famille entière et à leurs amis.