Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/149

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montrèrent moins hardis à le commettre. Ce fut avec une haute prudence que d’illustres législateurs, pleins d’une connaissance profonde de la nature humaine, aimèrent mieux passer sous silence ce crime, comme impossible à supposer, et comme dépassant les limites de toute audace, que d’indiquer, en lui assignant une peine, qu’il pouvait être commis. Ainsi les parricides ont commencé avec la loi. C’est la peine qui a suggéré la pensée du crime ; c’en est fait de la piété filiale, depuis que nous avons vu plus de sacs que de croix. Dans les pays où les punitions sont rares, il s’établit un accord général de vertu, et c’est dans l’intérêt public qu’on use d’indulgence. Qu’un peuple se croie moral, il le sera : il s’indigne bien plus fortement contre ceux qui s’écartent de la probité commune, lorsqu’ils sont en petit nombre. Il est dangereux, croyez-moi, d’apprendre à la société qu’il y a plus de méchants qu’elle ne le pensait.

[1, 24] XXIV. On fit jadis, dans le sénat, la proposition de distinguer par le vétement les esclaves des hommes libres ; mais bientôt on sentit quels dangers nous menaceraient dès l’instant où nos esclaves commenceraient à nous compter. Sachez que le péril sera le même si aucun pardon n’est accordé. On apercevra bientôt à quel point la partie corrompue de la société l’emporte sur le reste. La multitude des supplices est aussi peu honorable pour le prince, que la multitude des funérailles pour le médecin. Naturellement l’esprit humain est indocile, il lutte contre les obstacles et la contrainte ; il aime mieux suivre que de se laisser conduire. De même qu’un coursier fier et généreux obéit d’autant mieux au frein qu’il est plus léger, de même la vertu marche d’un mouvement spontané à la suite de la clémence ; et la société,