Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/205

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sans que rien d’utile en ait marqué l’emploi, le dernier, l’inévitable moment vient enfin nous presser : et cette vie que nous n’avions pas vue marcher nous sentons qu’elle est passée. Voilà la vérité : nous n’avons point reçu une vie courte, c’est nous qui l’avons rendue telle : nous ne sommes pas indigens, mais prodigues. D’immenses, de royales richesses, échues à un maître vicieux, sont dissipées en un instant, tandis qu’une fortune modique, confiée à un gardien économe, s’accroît par l’usage qu’il en fait : ainsi notre vie a beaucoup d’étendue pour celui qui sait en disposer sagement.

II. Pourquoi ces plaintes contre la nature ? elle s’est montrée si bienveillante ; la vie, pour qui sait l’employer, est assez longue. Mais l’un est dominé par une insatiable avarice ; l’autre s’applique laborieusement à des travaux frivoles ; un autre se plonge dans le vin ; un autre s’endort dans l’inertie ; un autre nourrit une ambition toujours soumise aux jugemens d’autrui ; un autre témérairement passionné pour le négoce est poussé par l’espoir du gain sur toutes les terres, par toutes les mers ; quelques-uns, tourmentés de l’ardeur des combats, ne sont jamais sans être occupés ou du soin de mettre les autres en péril, ou de la crainte d’y tomber eux-mêmes. On en voit qui, dévoués à d’illustres ingrats, se consument dans une servitude volontaire. Plusieurs convoitent la fortune d’autrui ou maudissent leur destinée ; la plupart des hommes, n’ayant point de but certain, cédant à une légèreté vague, inconstante, importune à elle-même, sont ballottés sans cesse en de nouveaux desseins ; quelques-uns ne trouvent rien qui les attire, ni qui leur plaise ; et la mort les surprend dans leur langueur et leur incertitude5. Aussi cette sentence sortie comme