Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/213

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tiner à la culture de votre esprit le seul temps qui n’est plus bon à rien ? N’est-il pas trop tard de commencer à vivre lorsqu’il faut sortir de la vie ? Quel fol oubli de notre condition mortelle, que de remettre à cinquante ou soixante ans les sages entreprises, et de vouloir commencer la vie à une époque où peu de personnes peuvent parvenir ! Entendez les paroles qui échappent aux hommes les plus puissans, les plus élevés en dignité ; ils désirent le repos, ils vantent ses douceurs, ils le mettent au dessus de tous les autres biens dont ils jouissent12 ; ils n’aspirent qu’à descendre du faîte des grandeurs, pourvu qu’ils puissent le faire sans danger13 ; car bien que rien au dehors ne l’attaque ni ne l’ébranle, la fortune est sujette à s’écrouler sur elle-même.

V. Le divin Auguste, à qui les dieux avaient plus accordé qu’à tout autre mortel, ne cessa de réclamer pour soi le repos et de souhaiter d’être délivré des soins du gouvernement14. Dans tous ses discours il en revenait toujours à ce point qu’il espérait pour lui le repos. Au milieu de ses travaux il trouvait pour les alléger une consolation illusoire, mais douce toutefois, en se disant : Quelque jour je vivrai pour moi. Dans une de ses lettres, adressée au sénat, où il assurait que son repos ne manquerait point de dignité, et ne démentirait point sa gloire, j’ai remarqué ces mots : « Mais de tels projets sont plus beaux à réaliser qu’en spéculation. Cependant mon impatience de voir arriver un moment si passionnément désiré, me procure du moins cet avantage, que puisque ce bien se fait encore attendre, j’en goûte d’avance les douceurs par le seul plaisir d’en parler. » Combien faut-il que le repos lui parût précieux, puisqu’à défaut de la réalité, il voulait en jouir en imagination15 !