Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/31

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cution en soit accomplie, est, quant à l’intention coupable, déjà consommé ; et certaines choses ont entre elles une condition d’existence et une connexion telles que la première peut être sans la seconde, mais non la seconde sans la première. Tâchons de rendre clair ce que j’avance. Je puis remuer les pieds sans courir17 ; je ne saurais courir sans remuer les pieds. Je puis, quoique étant dans l’eau, ne pas nager ; si je nage, je ne puis pas n’être point dans l’eau. De celle classe se trouve être aussi la question qui nous occupe. Si j’éprouve une injure, il est nécessaire qu’on me l’ait faite ; si on me l’a faite, il ne s’ensuit pas nécessairement que je l’éprouve. Mille incidens peuvent la détourner, le hasard désarmer le bras qui m’attaque, écarter le trait qu’on me lance : de même l’injure, quelle que soit sa nature, peut être repoussée, arrêtée en son chemin par un obstacle quelconque ; en sorte qu’elle a été faite, sans avoir été reçue.

VIII. D’ailleurs la justice n’admet rien d’injuste, car les contraires ne s’allient point. Or l’injure n’a jamais lieu sans injustice, d’où l’on voit que nul ne saurait faire injure au sage. Et ne vous en étonnez pas ; nul aussi ne peut lui rendre service. Rien ne lui manque qu’il lui convienne d’accepter à titre de présent ; et le méchant est hors d’état de lui donner quoi que ce soit. Pour ce dernier, il faudrait avoir avant de donner, et qu’aurait-il dont la possession dût flatter le sage ? Celui-ci, par conséquent, ne peut recevoir ni bien ni mal de personne, à l’exemple des êtres divins, qui n’ont besoin d’aucun appui, qui ne sont pas vulnérables ; car le sage est voisin des dieux18, il se tient presque sur leur ligne ; à la mortalité près, il est dieu lui-même. Cependant qu’il gravit et monte vers ce séjour