Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/311

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puisqu’elle se complaît dans ce qui lui est propre, sans rien désirer de plus grand que ce qu’elle a chez elle. Pourquoi n’opposerait-il pas bien ce contrepoids aux mouvements faibles, inutiles, et variables, du corps chétif ? Le jour qu’il aura été inférieur au plaisir, il sera inférieur aussi à la douleur.

V. D’un autre côté, vous voyez à quel misérable et pernicieux esclavage sera réduit l’homme que possèderont alternativement les plaisirs et les douleurs, ces maîtres les plus capricieux, les plus absolus, qu’il y ait au monde. Il faut donc prendre son essor vers la liberté ; celle-ci, rien autre chose ne la donne, que l’indifférence pour la fortune. Alors naîtra cet inestimable bien, le calme d’un esprit placé dans un asile sûr, et sa haute élévation. Les terreurs étant bannies, il résultera de la connaissance du vrai une satisfaction grande et stable, puis l’accueil obligeant, puis l’épanchement de l’âme. A ces douceurs, elle trouvera des charmes, non pas comme à des biens, mais comme à des produits de son bien. Puisque j’ai commencé à procéder largement, je puis encore dire que l’homme heureux est celui qui ne désire rien, qui ne craint rien, grâce à la raison. On sait bien que les pierres aussi existent sans crainte ni tristesse, et qu’il en est de même des bêtes ; cependant personne, en se fondant là-dessus, n’appellera heureux des êtres qui n’ont pas la faculté de comprendre le bonheur. Placez à ce même rang les hommes qu’a réduits à faire nombre parmi les bêtes et les brutes une nature émoussée pour le sentiment, ainsi que l’ignorance de soi-même. Nulle différence entre les premiers et ces dernières ; car, chez celles-ci la raison n’existe pas, et chez ceux-là elle est dépravée, ardente à leur nuire, ingénieuse à les jeter