Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rien faire, on parfume d’odeurs variées le lieu même où c’est à la débauche, que l’on rend honneur, par un repas funèbre. Voilà des gens que vous direz être dans les plaisirs ; et cependant ils ne seront pas bien, parce que ce n’est pas d’un bien qu’ils se réjouissent.

XII. « Ils seront mal, dit l’épicurien : c’est parce qu’il survient beaucoup d’incidents qui bouleversent l’âme, et parce que des opinions opposées entre elles agiteront l’esprit. » Il en est ainsi, je l’accorde ; mais ces insensés eux-mêmes, bien que d’humeur fantasque, bien que placés sous le coup du repentir, n’en éprouvent pas moins de grands plaisirs. Il faut donc l’avouer, ils sont alors aussi loin de tout chagrin, que du bien-être de l’esprit ; et, comme il arrive à la plupart des fous, ils ont une folie gaie : c’est par le rire, que leur fureur éclate. Au contraire, les plaisirs des sages sont calmes et réservés, j’ai presque dit languissants ; ils sont concentrés ; à peine les voit-on. C’est que, d’un côté, ils viennent sans être invités, et de l’autre, quoiqu’ils se présentent d’eux-mêmes, on ne leur fait pas fête ; on les accueille sans que leurs hôtes en témoignent aucune joie. Les sages, en effet, ne font que les mêler à la vie, que les y interposer, comme nous plaçons un jeu, un badinage, parmi les affaires sérieuses. Que l’on cesse donc de joindre ensemble des choses incompatibles, et d’envelopper le plaisir dans la vertu, par un vicieux assemblage, au moyen duquel on flatte les plus méchants. Cet homme qui est enfoncé dans les plaisirs, qui se traîne à terre, toujours ivre, comme il sait qu’il vit avec le plaisir, croit vivre aussi avec la vertu : car il entend dire que le plaisir ne peut pas être séparé de la vertu ; puis il décore ses vices du nom de sagesse, et ce qu’il faut cadrer il