Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/339

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le joug. Dès lors, ce qui est le plus dur esclavage, il commence à avoir besoin de la fortune ; vient ensuite la vie inquiète, soupçonneuse, pleine d’alarmes, effrayée des mésaventures, suspendue au trébuchet des circonstances. Vous ne donnez pas à la vertu une base fixe, inébranlable, mais vous exigez que sur un pivot tournant elle se tienne ferme. Or, quoi de si prompt à tourner, que l’attente des caprices de la fortune que la variabilité du corps et des choses qui l’affectent ? Comment peut-il obéir à Dieu, bien prendre tout ce qui arrive, ne pas se plaindre de la destinée, interpréter favorablement ses mésaventures, celui qui, aux moindres piqûres des plaisirs et des douleurs, est dans l’agitation ? Loin de cela, il n’est pas même en état de défendre sa patrie ou de la venger, non plus que de combattre pour ses amis, s’il penche vers les plaisirs. Que le souverain bien s’élève donc à une hauteur telle, qu’il n’en soit arraché par aucune force, à une hauteur où il n’y ait accès ni pour la douleur, ni pour l’espérance, ni pour la crainte, ni pour aucune chose qui puisse altérer le droit du Souverain bien. S’élever si haut, la vertu seule en est capable : c’est de son pas, qu’une telle montée doit être gravie ; c’est elle, qui se tiendra ferme, qui supportera tous les évènements, non seulement avec patience, mais encore de bon gré : elle saura que toute difficulté des temps est une loi de la nature. Comme un bon soldat supportera les blessures, comptera les cicatrices, et, transpercé de traits, en mourant aimera le général pour lequel il succombera19, de même, la vertu aura dans l’âme ce vieux précepte : Suis Dieu20. Mais tout soldat qui se plaint, qui pleure, qui gémit, est contraint par la force à faire