Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/371

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tions unanimes, on ne saluera Dieu. Que ce faîte si élevé, s’écroule par un changement subit : que je sois établi sur un brancard étranger, pour orner la pompe d’un vainqueur superbe et farouche ; je ne serai point plus bas, poussé au dessous du char d’un autre, que je n’étais en me tenant debout sur le mien. » Qu’est-ce donc ? J’aime cependant mieux être vainqueur, que d’être captif. Tout l’empire de la fortune sera peu de chose à mes yeux ; mais de cet empire, si le choix m’est donné, je prendrai ce qui sera plus commode. Tout ce qui m’arrivera deviendra bon ; j’aime pourtant mieux qu’il m’arrive des choses plus faciles, plus agréables, et moins rudes à manier. N’allez pas croire, en effet, qu’il existe aucune vertu sans travail ; mais à certaines vertus, c’est l’aiguillon qu’il faut ; à d’autres, c’est le frein. Comme le corps, dans une descente rapide, a besoin d’être retenu, et dans une montée scabreuse, a besoin d’être poussé, de même, certaines vertus marchent en descendant, d’autres gravissent la côte. Est-il douteux qu’il y ait à monter, à faire effort, à lutter, pour la patience, le courage, la persévérance, et pour toute autre vertu qui est opposée aux dures circonstances, et qui soumet la fortune ? Eh bien ! n’est-il pas également clair que c’est en descendant, que vont la libéralité, la tempérance, la douceur ? Dans celles-ci nous modérons l’âme, de peur qu’elle ne tombe, emportée sur la pente ; dans celles-là, nous l’exhortons, nous l’excitons. Ainsi, en face de la pauvreté, nous emploierons les plus ardentes, celles qui, lorsqu’on les attaque, en deviennent plus courageuses ; aux richesses, nous opposerons celles qui sont plus soigneuses ; celles qui dans leur marche posent le pied en équilibre, et soutiennent leur poids. »