Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
CONSOLATION A HELVIA.

le berceau des Toscans ; des Tyriens peuplent l’Afrique, des Carthaginois l’Espagne ; les Grecs se sont jetés dans la Gaule et les Gaulois dans la Grèce ; les Pyrénées opposaient une barrière aux Germains, ils l’ont franchie ; l’inconstance humaine s’est aventurée à travers les pays les plus impraticables, les plus inconnus. Femmes, enfants, parents appesantis par l’âge, on entraînait tout avec soi. Les uns, après avoir longtemps erré, se sont arrêtés moins par choix que par lassitude au premier lien venu ; d’autres, pour s’emparer d’une terre étrangère, se sont fait un droit de leurs armes ; ceux-ci furent engloutis dans les flots, comme ils voguaient vers des plages ignorées ; ceux-là demeurèrent où le manque de provisions les força de faire halte. Et tous n’eurent pas les mêmes motifs pour quitter leurs foyers et en chercher de nouveaux. Tantôt c’est une cité détruite ; ce sont ses restes, échappés au fer ennemi, que la spoliation pousse à l’envahissement ; tantôt des proscrits politiques ; ici une population surabondante qui verse au dehors l’excédant de ses forces ; là, l’invasion de la peste, le sol qui fréquemment s’entr’ouvre, un climat que désole quelque insupportable fléau ; parfois les attraits d’une terre plus fertile qu’exagère encore la renommée ; d’autres enfin s’expatrient pour d’autres causes. Évidemment rien n’est demeuré constamment fidèle à son berceau. C’est un va-et-vient perpétuel du genre humain ; c’est chaque jour, sur un cercle immense, quelque rayon qui se déplace. On jette les fondements de cités nouvelles ; de nouveaux noms, de nouvelles nations apparaissent, quand d’autres cessent d’être ou s’absorbent dans la conquête d’un puissant voisin. Or toutes ces transplantations de peuples que sont-elles, que des exils en masse ?

VII. Qu’est-il besoin de vous traîner par de longs circuits, de vous citer Anténor qui bâtit Padoue, Évandre qui crée sur les rives du Tibre le royaume d’Arcadie ; et Diomède et tant d’autres, vainqueurs et vaincus, que la prise de Troie dispersa sous des cieux étrangers ? L’empire romain ne reconnaît-il pas pour fondateur un exilé qui, fuyant sa patrie conquise, traînant avec lui quelques chétifs débris, chassé par la nécessité et la crainte du vainqueur, cherchait au loin un asile et le trouva en Italie ? Que de colonies plus tard ce même peuple n’envoya-t-il pas dans toutes les provinces ? Partout où il a vaincu, le Romain y habite. On s’enrôlait avec joie pour ces émigrations ; et le vieillard quittait ses autels domestiques pour se faire colon au delà des mers.