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XIII
ET LES ÉCRITS DE SÉNÈQUE.


pu dicter lui-même son message au sénat, il ne manquait pas de rédacteurs suffisamment habiles pour le composer à sa place.

Cette cour de Néron, en esclaves fertile,
Pour un que l’on cherchait en eût présenté mille
Qui tous auraient brigué l’honneur de s’avilir.

Anicet, qui avait tout imaginé, tout consommé, était le plus propre à cette besogne : héros de l’affaire, il en était le narrateur tout trouvé. Qu’ensuite l’empereur ait jugé à propos de répandre le bruit qui attribuait la rédaction à Sénèque, la chose est possible ; le démenti ne l’était pas : l’eût-on admis, quand le sénat tout entier décrétait des actions de grâces aux dieux et inscrivait parmi les jours heureux le jour de la mort d’Agrippine ? Et puis, Tacite lui-même ne prouve-t-il pas plus bas, implicitement, que Sénèque n’a pu démentir ainsi sa vie passée, ses principes d’honnête homme et de stoïcien ? En effet, quand, peu après, Burrhus mourut de maladie ou de poison, dit l’historien, il ajoute : « Cette mort brisa la puissance de Sénèque : le parti de la vertu était affaibli d’un de ses chefs. » Et ailleurs, à propos de la conjuration de Pison, il raconte que les conjurés avaient décidé qu’on donnerait l’empire à Sénèque, comme à un homme sans reproche, appelé au rang suprême par l’éclat de ses vertus[1].

Enfin, le sévère historien eût-il rapporté sans observation, sans la moindre épithète restrictive, ces mots de Sénèque mourant à ses amis : « Je vous laisse le seul bien, mais le plus précieux qui me reste, l’image de ma vie ? » et quelques

  1. Annal., XV, LXV. Nouvelle preuve qu’ils ne le regardaient pas comme l’apologiste du parricide, qu’ils n’étaient pas guidés par le rumore adverso. De là aussi ces vers de Juvénal :

    Si Rome en liberté votait dans ses comices,
    Quel être si pervers, si gangrené de vices,
    À Sénèque oserait préférer un Néron ?

    Satire VIII, 210, trad. de Dubos