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XIV
NOTICE SUR LA VIE


lignes plus haut cette réponse du même Sénèque au tribun chargé de l’interroger : « Je n’ai pas l’esprit enclin à la flatterie, et Néron le sait mieux que personne : il a plus souvent trouvé en moi un homme libre qu’un esclave. » Et ces autres mots : « Que restait-il à l’assassin de sa mère et de son frère que d’être aussi le bourreau du maître qui éleva son enfance ? » Et quand Tacite eût négligé ici de rappeler la fameuse lettre au sénat, Sénèque, en face de la mort, eût-il pu refouler ce souvenir accablant et osé parler de la sorte, avec cette fière sérénité ?

Évidemment, Tacite jugeait Sénèque comme nous le jugeons ici. Il ne trouva pas non plus à le blâmer, comme ont fait tant de rigides censeurs modernes, d’être resté à la cour quelque temps encore après la mort d’Agrippine. Ce qu’il dit de Burrhus, resté aussi auprès de Néron, et « dont la mort laissa dans Rome un regret immense, à cause du souvenir de ses vertus et du choix de ses successeurs, » remarque certes plus approbative que critique, est plus applicable encore à Sénèque, dont l’influence morale lutta et dut lutter jusqu’au bout contre le crédit des méchants « vers lesquels Néron penchait de plus en plus. » (Annal., XV, LII.) Demeuré seul, il fut attaqué par eux comme il l’avait été par Suilius ; ils disaient : « Censeur injuste et public des amusements du prince, il lui refuse le mérite de bien conduire un char ; il rit de ses accents, toutes les fois qu’il chante. Tout ce qui se fait de glorieux dans l’État, le croira-t-on toujours inspiré par cet homme ? » (Ibid., ibid.) Quel aveu ! et, qu’on nous permette de le dire, quelle justification !

Sénèque dut enfin songer à se retirer. On peut voir dans Tacite le discours qu’il adressa à Néron pour obtenir de quitter la cour et les affaires, et l’offre qu’il fit à l’empereur de lui restituer tous les biens qu’il tenait de lui, qu’il n’avait pas dû repousser, mais qui irritaient l’envie contre leur possesseur. Néron, dans un discours perfidement étudié, repoussa sa demande et refusa la restitution de sa fortune : « Toute